Le prix de la culture
L'exception de la copie privée est une particularité du droit d'auteur français. Elle permet à chacun de reproduire et de partager, avec famille et amis, une œuvre de l'esprit qu'il l'ait acquise ou obtenue suite à une diffusion télévisuelle, par exemple. Telle qu'elle est formulée, l'exception de la copie privée constitue une disposition favorable aux consommateurs. C'est pourquoi à titre de réparation du manque à gagner, il a été instauré une redevance pour le droit à la copie privée. Redevance payée par les consommateurs et dont profitent les producteurs d'œuvre de l'esprit. Une question inhérente à toute compensation est « Où placer le curseur ? ». En effet, il faut veiller à dédommager convenable celui qui fournit le service sans voler celui qui l'utilise. C'est le principe du juste dédommagement. Dans le cas particulier de la copie privée, je suis favorable à son maintient mais force est de constater que la redevance qui lui est associée s'apparente depuis peu à une rançon aveugle qui participe plus au nantissement des fournisseurs d'oeuvres culturelles qu'à une juste compensation. C'est l'objet de ce billet.
Traditionnellement le paiement de la redevance pour la copie privée s'applique aux cassettes audio et aux cassettes VHS. Il a été étendu depuis peu aux supports amovibles (CDR, DVD+/-) et aux supports dédiés (baladeurs MP3). Cela avait déjà fait, à l'époque, l'objet de débats houleux sur Internet. C'est donc sur cet état des lieux que la commission sur la copie privée, dite commission d'Albis, du nom de son président Tristan d'Albis, statue depuis 2005. Concrètement la commission d'Albis était chargée de conclure sur le destin de la redevance telle qu'elle était imposée sur la vente des supports de stockage susmentionnés. Elle devait également se prononcer sur la pertinence et les contours d'une taxe sur d'autres supports d'enregistrement comme les clefs USB. Après deux ans de réflexion, la commission d'Albis a rendu son arbitrage cet été et a publiée, dans la foulée, le texte associé au journal officiel. Dans la pratique, depuis le premier octobre 2007, la redevance concerne également les disques durs externes, les cartes mémoires et les clefs USB.
Le calcul de la somme à prélever est assez complexe car il tente d'englober à la fois le contexte d'utilisation, la capacité du support et le type de mémoire. Quelques extraits de ce barème :
- Pour les cartes mémoires la taxe s'élèvera jusqu'à près d'1 euro pour 16 Go.
- Pour une clé USB de 1Go dont le prix est de 10 euros, il faut compter 22,5 centimes d'euros de redevance.
- Pour un disque dur externe de 400 Go dont le prix est de 117 euros la redevance s'élève à 10,88 euros.
Les prix que j'indique sont hors taxes car la SACEM prélèvera la redevance avant la TVA. Dans la pratique cela signifie qu'au prix que vous obtiendrez via le barème précédent, il conviendra d'augmenter l'ensemble d'une TVA de 19,6 %. Au final le disque dur externe de 400 Go que je cite en exemple coûtera 153 euros. Notez enfin que la commission a déjà indiquée qu'elle suivra l'évolution des technologies, des matériels et des usages afin de procéder dès que nécessaire à des ajustements mais aussi dans le but d'intégrer de nouveaux supports. Citons parmi lesquels : le Blu ray, le HD DVD et les téléphones portables. Tout un programme !
La commission d'Albis a été créée pour être l'autorité représentative de toutes les parties concernées par la problématique « copie privée ». Cela inclus, les producteurs d'œuvres culturelles, les associations de consommateurs ainsi que les fabricants et revendeurs de supports de stockage numériques. Dans la mesure où comme je le disais tantôt, en matière de dédommagement, le nœud, c'est le curseur, j'étais assez satisfait du positionnement de ladite commission. Après quelque années, je m'aperçois que cette commission applique plutôt le dictat des mondes de la musique et audiovisuel, au détriment des intérêts des autres parties. Je m'explique : Il n'aura échappé à personne que la redevance pour le droit à la copie privée constitue un impôt très lucratif pour les producteurs d'œuvres culturelles sinon elle aurait déjà été supprimée. Et cela principalement parce que son mode de ponction assujetti même ceux qui ne partagent pas leurs copies privées. Le rêve de tout vendeur. Dixit les chiffres officiels, cette redevance rapporte plus de 200 millions d'euros chaque année dans sa version courante et pourrait dépasser les 300 millions avec les nouvelles entrées. Ces chiffres sont à associer aux 125 millions annuels que versent les télévisions aux associations de producteurs. Pour autant, cette taxe augmente le prix des produits taxés, ce qui a un impact déplaisant sur les bénéfices les revendeurs de supports numériques. En effet, passé un seuil de prix, de nombreux internautes se tournent vers des boutiques à l'étranger. C'est un phénomène constaté depuis l'extension de la taxe au CD/DVD et les messages sur les forums publics à la suite de ces nouvelles taxes sont sans équivoque sur la destination des flux financiers. Au milieu de ces deux intérêts industriels, il y a les consommateurs qui sont les seuls à payer réellement la taxe et dont le budget numérique pèse de plus en plus lourd.
De mon point de vue il est assez intéressant de constater que les CD/DVD existent respectivement depuis 25 et 17 ans mais que leurs taxations datent d'à peine 6 ans. Ce qui correspond aux premières offensives massives des industries musicale et audiovisuelle contre les pirates. De là à penser que cette taxe a été détournée de son but premier, mais constitue désormais un moyen pour les bénéficiaires de reconstruire leurs bénéfices face au piratage, il n'y a qu'un pas que je fais volontiers. Ensuite je m'interroge sur le message véhiculé par cette redevance. D'après elle seuls les producteurs de musiques et de films pâtiraient du piratage ou de la copie privée ? Et les producteurs de logiciels ? Ne devrait-t-on pas les dédommager eux aussi ? Plus généralement, vu que nous payons tous pour le piratage et la copie privée, ne devrions-nous pas pirater tout ce que nous pouvons et partager des copies « privées » de tout ce que nous avons de numérique ?